Où quand la fraude est profitable.
En droit, le dol est une cause de nullité d’un contrat.
Il suppose qu’une partie à ce contrat a usé de manœuvres déloyales afin d’amener l’autre partie à le signer.
Ces manœuvres peuvent consister en un mensonge sur les avantages que le cocontractant trompé peut espérer retirer du contrat ou peuvent résulter d’un silence (une réticence) sur des désavantages potentiels à signer ce contrat.
Ces manœuvres doivent être telles que sans elles le cocontractant ne se serait pas engagé dans cette relation contractuelle.
En clair, il s’agit d’une tromperie particulièrement grave et accomplie en toute mauvaise foi.
Sa sanction est donc la nullité du contrat et chacune des parties doit être replacée dans son état antérieur à la signature du contrat, ce qui n’est pas anodin comme on va le voir.
En 2008, les époux P. ont souscrit plusieurs contrats de crédits afin d’acquérir leur résidence principale auprès d’un établissement financier (réputé).
Parmi ces contrats figurait un crédit immobilier à taux variable encadré, ce qui signifie que son taux ne pouvait connaître de variations (à la hausse comme à la baisse) que dans un cadre donné, gage évident de sécurité pour l’emprunteur ainsi insusceptible de voir le coût de son crédit s’envoler vers des cimes dangereuses moyennant le risque (accepté) de voir le taux de son crédit atteindre un plancher moins intéressant que s’il avait opté pour un taux fixe.
C’est donc un pari raisonné qui est pris par l’emprunteur ainsi protégé d’une hausse inconsidérée des indices servant de référence pour la fixation du taux.
Sauf,
Sauf, si son cocontractant (réputé, on l’a dit) use délibérément de manœuvres frauduleuses en s’abstenant d’apporter loyalement à cet emprunteur toute information utile sur la réalité des conséquences possibles de son engagement.
Quelles conséquences possibles?
Eh bien, on pourrait imaginer qu’à un moment l’amortissement du crédit soit négatif.
C’est-à-dire que, de par la hausse des indices de référence, la mensualité versée non seulement ne serait constituée que d’intérêts et n’amortirait donc pas le capital ce qui est déjà gênant mais qu’en outre la mensualité ne couvrirait pas même le montant des intérêts dus et que ceux non payés viendraient s’ajouter au capital dû.
En résumé : plus vous payez, plus vous devez payer.
Aimable fantaisie ?
Hélas, non.
Dans le cas évoqué ici, les époux P. ont constaté, à réception des décomptes adressés par le prêteur en cours de contrat, que nonobstant le fait qu’ils avaient payé, rubis sur l’ongle, leurs échéances d’emprunt à hauteur de 400,00 euros par mois pendant plus de 18 mois, le capital restant dû sur leur crédit avait augmenté de plus de 2.000,00 euros sur la même période.
Probablement très légèrement agacés par cette situation, les époux P. ont fait choix d’assigner l’établissement financier devant un Tribunal de Grande Instance.
Ils avançaient que s’il leur avait été clairement indiqué que la signature du contrat pouvait avoir pour conséquence de les amener à devoir plus de capital que celui emprunté, ils n’auraient pas souscrit ledit contrat.
Cela peut apparaître crédible
Pour être complet, il doit être précisé que, dans le même temps, l’établissement financier en question était allé reconnaître benoîtement devant une juridiction pénale que, oui, effectivement, la souscription de ce type de contrat était susceptible d’entraîner un amortissement négatif au détriment de l’emprunteur et que, oui, aussi, il en avait parfaitement conscience au moment où il faisait proposer ce genre de contrat aux consommateurs.
Cet établissement financier (toujours aussi réputé) reconnaissait donc ainsi être coupable d’une faute pénale intentionnelle : une tromperie.
Il était dès lors légitime que le Juge civil, saisi de son côté par les époux P., constate quant à lui, à l’occasion de la souscription d’un contrat de ce type, l’existence d’un manquement contractuel délibéré : un dol.
Au plan pénal, dont n’avaient cure les époux P., la sanction fut terrible et effroyable pour l’établissement financier qui se vit infliger une amende représentant pas moins de 3 secondes de son chiffre d’affaires annuel…
On en frémit pour lui.
Au plan civil, dans le cadre de leur seul procès, les époux P. ont obtenu la nullité de leur contrat de crédit (outre des dommages et intérêts en réparation de leur préjudice moral et une prise en charge de leurs frais de défense) à leur plus grande satisfaction.
Concrètement, le contrat étant annulé, ils ont dû rembourser le capital initialement emprunté déduction faite de toutes les sommes payées jusqu’alors.
Cela implique que le prêt s’est, en quelque sorte, transformé en prêt à taux zéro puisque les intérêts payés ont été considérés comme du capital, d’où un gain non négligeable et totalement justifié puisque résultant de la fraude délibérée de leur cocontractant (définitivement réputé).
Si vous avez un doute, faites-vous défendre !